Les sneakers mettent le luxe à leurs pieds

Pendant longtemps, la relation entre le luxe et les sneakers s’est résumée à je t’aime, moi non plus. Mais la tendance street style est passée par là. 

Une relation à rebondissements

L’histoire de la liaison entre le monde des sneakers et l’univers du luxe n’a rien d’une idylle à l’eau de rose. Les deux univers étaient en effet strictement séparés l’un de l’autre. Les frontières entre le monde du luxe et celui de la rue paraissent infranchissables. Pourtant, le “streetwear” ne fait aujourd’hui plus qu’un avec le luxe. Mais comment ce tournant s’est-il opéré et pourquoi le luxe a choisi d’épouser la mode de la rue au détriment de son rejet initial ? FRENCHR vous explique cette histoire d’amour tourmentée entre sneakers et luxe, avec l’intervention de Philippe Zorzetto.

Pendant longtemps, la haute couture a boudé la mode urbaine. Cette dernière était jugée populaire et sans intérêt. C’est simple, à cette époque, le monde de la mode tournait uniquement autour du luxe. Tout ce qui gravitait aux environs était méprisé. Imaginer des sneakers dans une collection haute couture était dès lors impensable. 

La popularisation des sneakers

Cela étant, la street culture naît dans les banlieues américaines aux débuts des années 80. C’est une véritable révolution culturelle qui s’oppose au luxe institutionnel. Le hip-hop retentit dans les rues de New-York, la culture des sneakers envahit les rues du monde entier. La contre-culture de la mode se met en place. Des personnalités comme Shawn Stussy vont être les chefs de file de la tendance street style. Ils s’opposent notamment à la marginalisation des cultures populaires et sont en quête d’affirmation sociale et d’identité. À titre d’exemple, Run-DMC scande à l’un de ses concerts : “Si vous portez des Adidas, levez-les bien haut !”. 

Dans les années 1990, cette contre-culture explose et inonde le monde de la mode. C’est une fureur collective. A cette époque apparaissent les ténors du milieu comme Suprême ou Bape. Propulsée par le succès de ces marques de vêtements, la tendance street style est partout. Désormais, la culture urbaine utilise la mode mais également l’art, la musique et le vocabulaire pour s’infuser dans la société. Ice Cube, Eminem ou Tupac s’écoutent sur CD. Pete Moore crée la première version de l’Air Jordan et démocratise par-là l’usage des sneakers. Les baggys umbro, les casquettes Lacoste ou bien les DC Shoes sont à chaque coin de rue. Finalement, la tendance street style des années 1990, est bien le témoin du refus d’une mode matérialiste et ostentatoire. Une fracture entre les styles qui semble détruire toute possibilité d’un couple luxe/sneakers 

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"La Lynx était le premier modèle incontournable de DC." Heritage DC

L’arrivée de la culture urbaine dans l’univers du luxe

Toutefois, les années 2000 marquent l’apparition surprenante de la culture urbaine dans l’univers du luxe. Pascal Monfort, sociologue de la mode, parle ainsi de cet échange culturel : “La mode s’est toujours nourrie et se nourrira toujours des cultures alternatives. C’est l’essence même de sa raison d’être. C’est en se révoltant contre elle qu’on lui obéit le mieux car elle s’alimente des différences”. Rentable et contagieux, le street style s’immisce dans le monde du luxe. La rue côtoie désormais le luxe. Les deux univers fusionnent et instaurent une relation vertueuse.

Innovation, inspiration ou appropriation culturelle ; quoi qu’il en soit, la street culture infuse l’industrie du luxe. Les maisons de haute couture se réinventent en puisant copieusement dans l’univers de la rue. Dorénavant, on voit défiler des mannequins en joggings haute couture ou coiffés de casquettes griffées. Sur les premières pages des grands magazines de mode, on peut voir des icônes populaires portant des baskets haute couture. C’est notamment le cas de Pharrell Williams arborant les sneakers Louis Vuitton. Fini le snobisme ; désormais, on encense l’urbain.

Les sneakers comme emblème du street style

À cet égard, il faut souligner le succès particulier que rencontrent les sneakers. Ces simples chaussures de sport en semelle en caoutchouc devenues un objet emblématique du vestiaire urbain intéressent particulièrement les grandes maisons. Les créateurs ne tardent pas à s’emparer de ce phénomène sportswear. Ils décident ainsi d’en bouleverser les codes. Ils développent notamment les “collaborations”. Dorénavant, les icônes populaires peuvent repenser les lignes de ces chaussures de sport. Il faut citer, entre autres, la collaboration entre Puma et la créatrice Jil Sander. De leur association naît la Puma King. Basket révolutionnaire qui signe l’entrée de cette paire de chaussure populaire dans les vestiaires du luxe.

Des rues de Brooklyn aux boutiques de luxe, la basket connait une folle épopée. On la voit désormais sur les pieds de véritables icônes comme Lady Diana ou Karl Lagerfeld. Cet accessoire de mode est le reflet parfait de la fusion des deux modes. Les codes s’entremêlent. Le triomphe exponentiel des sneakers donne ainsi naissance à des phénomènes nouveaux : éditions limitées, collaborations et recrutement d’égéries célèbres. Les règles du luxe dictent dorénavant le milieu des baskets. Les lignes entre le street style et le luxe se brouillent. Le couple luxe/sneaker est né.  

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Tiffany&Co x Nike Air Force 1 - SNKRDUNK

La tendance street style, un commerce fructueux 

Le streetwear a été l’élixir de jeunesse du luxe. Ce dernier lui a permis de s’ouvrir à un public plus large, plus jeune. Autrefois en totale opposition, la réunion de ces deux mondes a pris une ampleur phénoménale. Véritable success story des temps modernes, le street style a reboosté l’activité du luxe. Les sneakers ont tout particulièrement fait main basse sur le marché mondial des chaussures de luxe.

En effet, l’industrie de la basket griffée connaît une croissance sans discontinuer depuis plus de 20 ans. Si l’on jette un coup d’œil aux chiffres, on peut observer que le marché mondial des chaussures de luxe atteignait 19 milliards d’euros en 2019. La même année, celui des chaussures de sport dépassait les 82 milliards d’euros. Louis Vuitton, Balenciaga, Givenchy et tant d’autres ont donc finalement décidé de s’ouvrir à ce marché florissant.   

Les sneakers au cœur de l’attention

Il faut ici comprendre que la tendance street style a redéfini en profondeur le marché du luxe. Dorénavant, les marques de luxe misent tout sur leurs collections de sneakers. Il s’agit pour elles de trouver leur place dans un marché particulièrement attractif. Pour illustrer ce phénomène, 90% des chaussures Balenciaga vendues en 2019 étaient des baskets. Mais comment se démarquer lorsque l’industrie est dominée par un tout petit nombre d’acteurs comme Nike et Adidas qui se partagent 60% du marché ?

En fait, l’engouement s’est transformé en véritable lutte d’influence entre les marques et leurs égéries. Et cette stratégie s’avère payante. À titre d’exemple, Chanel s’est offert les services de Pharrell Williams pour imaginer une collection capsule. Par ailleurs, les éditions limitées sont également un élément marketing de premier ordre. À cet égard, Guerlain a édité des séries limitées de sneakers en partenariat avec Le Coq Sportif.

Enfin, les marques de sneakers haut de gamme essaient également de se différencier de leurs rivaux sur le terrain des valeurs. En effet, face à une stratégie de la basket fortement critiquée pour son empreinte carbone et son manque de transparence, les grandes maisons se réinventent. C’est notamment le cas de Jules et Jenn, marque française de slow fashion. Ils imaginent des chaussures responsables, transparentes et accessibles. À tout prendre, les stratégies commerciales sont payantes. Les perspectives de croissance des sneakers de luxe étant au beau fixe. Le couple sneaker/luxe est ainsi un véritable moteur de croissance de l’économie. En un mot, les sneakers piétinent aujourd’hui la moindre concurrence dans le monde des chaussures de luxe.  

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Philippe Zorzetto - Le Prescripteur

 

La mise en œuvre d’un artisanat particulier

L’arrivée de la tendance street style dans l’univers du luxe a bousculé les codes de la chaussure. Le couple luxe/sneaker impose une façon singulière de produire et de consommer la mode. C’est tout un artisanat nouveau qui est mis en œuvre. Matières nobles, fabrication locale, transparence affichée, les grandes maisons souhaitent se démarquer sur le marché bouché des sneakers. Offrant un style contemporain et élégant, les baskets haut de gamme font bouger le secteur de la chaussure. Le savoir-faire particulier mis en œuvre est d’une précision particulière. En guise d’exemple, Louis Vuitton propose des modèles de sneakers confectionnées en Italie selon les traditions artisanales d’exception de la Maison.

Néanmoins, pour évoquer ce savoir-faire extraordinaire, rien de mieux que de donner la parole à un professionnel du secteur. Monsieur Philippe Zorzetto nous a fait l’honneur de répondre aux questions de FRENCHR :

FRENCHR : Qui est Philippe Zorzetto ?

Philippe Zorzetto : Je suis fondateur et créateur de ma marque de chaussures premium où je mets en avant le lien entre le savoir-faire français et italien. Cela dans une démarche d'éco responsabilité et de volonté de produire au plus proche du consommateur. Ma volonté était de fabriquer des baskets en France dans l’un des derniers ateliers du pays à Montjean sur Loire et de proposer à mes clients une paire de qualité, éco responsable et à un prix raisonnable.

Comment expliquer cet engouement autour des sneakers de luxe ?

Il y a un engouement sur la basket surtout ! C’est le seul secteur de la chaussure qui est en pleine explosion. Cela représente une part importante de l’achat des chaussures. Rappelons que l’on produit aujourd’hui 36 millions de chaussures par jour. Cela fait déjà une trentaine d'années qu’il y a des liens entre la culture urbaine et le luxe. C’est un véritable phénomène de mode !

Qu’est-ce qui différencie l’industrie des baskets de fast fashion avec l’artisanat des sneakers haute couture ?

Alors je ne définis pas du tout mes baskets comme des baskets de luxe en termes de prix. Nous sommes deux à trois fois moins chers qu’une marque de luxe traditionnelle. Nous sommes premium. Mais l’amour de la chaussure et du travail artisanal restent au centre de la marque. Donc la différence entre la fast fashion et l’industrie plus artisanale, c’est le fait de fabriquer des modèles avec une vraie valeur. C’est-à-dire un vrai savoir-faire pas trop loin du consommateur.

La France, l’Italie et le Portugal sont reconnus pour être les fers de lance de l’artisanat de la chaussure. Qu’est-ce qui différencie les industries de sneakers de ces pays ?

En France, toute l’industrie de la chaussure a disparu. Il y a 20 ans, il y avait à peu près 100 000 personnes qui travaillaient dans des ateliers de chausseurs. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 9 000. Malheureusement, l’industrie française a particulièrement été touchée par la relocalisation. Donc je me bats pour garder un atelier en France et le développer. L’Italie, c’est un pays qui s’est tourné vers l’industrie plutôt très haut de gamme et le Portugal, à l’inverse, plutôt bas de gamme et industriel. La France a été un grand pays de la chaussure. Jusque dans les années 80, la France produisait énormément de paires de chaussures. Alors je me bats pour relocaliser au maximum la production.

Pour finir, quelles sont les trois paires de sneakers premium à avoir absolument dans son placard ?

Je pense qu’il faut se faire plaisir. Il faut faire en fonction de ses propres goûts. Je dirais une paire de basket toute blanche parce que ça va avec tout. Une paire de basket toute noire parce que ça va avec tout aussi. Une paire de basket avec pleins de couleurs parce que c’est gai et que ça fait toujours du bien. 

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Sneakers Eden - Philippe Zorzetto 

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